Ce chapitre est dédié à la mémoire de Paul
Ricard et de son fils Patrick Ricard qui nous a quittés tout récemment. Il
est également dédié à ces messieurs de Ricard qui ont fort bien connu mon
père, décédé, il y’a plus de huit mois.
C’était le
temps où la Maison Ricard avait le goût du Ruisseau.
Une époque qui tirerait une larme à ceux à qui ils resteraient encore des
larmes pour pleurer.
……… à ceux qui se souviennent de ce que
fut la Royale Maison Ricard au Ruisseau.
C’était le temps des fleurs…
Je t’adore, Soleil, Toi qui sèches les
pleurs des moindres graminées.
Edmond Rostand
1. L’ESPRIT SPIRITUEL DES
SPIRITUEUX
a. Chaque
bouteille raconte son histoire. Cette fois, c’est l’histoire de cet apéritif
nommé Ricard, pur produit du terroir, qu’on passe son temps
à voir et à revoir, et qu’on prend plaisir à boire chaque soir à la gloire
d’une victoire des gars du J.U.D.B.
Un couplet nostalgique à la mémoire d’un
passé révolu
« Et l’on disait que l’O.M.R était
tombé dans un baril de vin rosé, non ! non ! l’O.M.R n’est
pas morte, puisqu’elle gagne encore … et puisqu’elle marche encore. Et l’O.M.R …
et l’O.M.R... ».
Le Ruisseau – juin 2011
b. L’ombre de
la Maison Ricard du Ruisseau qui
nous a quittés en 63, et qui ne cessait de nous hanter* , y revient cette
fois comme dans une résurrection pour disparaître à jamais et pour un dernier
adieu. C’est tout le charme de la Maison Ricard qui
nous quitte et pour l’éternité.
REGARDS :
On accourt de partout en criant au
feu ! Au feu ! Ce sont les Forges Garcia du Ruisseau qui brûlent.
C’était en 2006. On se réveille un matin et on apprend que c'est la demeure des
tout-puissants Fedelich de Rouiba qui s'effondre et
qui tombe en ruine. C’était lors du séisme de l'année 2003. Cette fois,
on s’arrête, on se regarde et on se dit tiens! C’est l’ex Maison
Ricard du ruisseau qui est démolie et jetée
à terre. C’était en 2011. Comme à chaque fois, c’est ce vieil adage
populaire qui accompagne le glas qui
sonne et qui annonce l’agonie, la mort ou les funérailles d’un
« Caid » de la Maison.
c. Cette Maison qui
a côtoyé les grands noms de la distillerie, qui a servi de tremplin aux géants
de la liquosterie, qui passait son temps à séduire les grandes tables
algéroises par sa très belle structure en bouche, et qui savait envoûter les
meilleurs œnologues par sa très belle prestation dégustative, n’est plus,
hélas, qu’un terrain vague à demi-rongé, par les mécaniques de la mort.
d. Mais
pourquoi spécule-t-on … sur l’état de santé de Charles Pasqua,
celui qui fut durant de longues années le Directeur de Ricard
– France ? Ici, au Ruisseau, les travaux de
démolition n’étant pas encore achevés, ceci dans l’attente de relogement des
locataires de la banque de « Prêts sur Gages » touchée
également par cette opération de réhabilitation. Ce qui laisse présager que la
liste funèbre est ouverte, ou encore longue. Serait-ce le prélude d’une série
en cascade ? Ôh non ! il demeure néanmoins que ce sont de purs contes
fondés sur une banale superstition, bien ancrée chez les anglais, et qui a
longtemps influencé l’esprit rétrograde de nos chers aïeux.
Le Ruisseau
2. L’ACTUELLE PORTE D’ENTREE DE
L’EX MAISON RICARD
Photo prise le 28/12/2012
- Je t’aime Marie je
t’aime … - Patrick Abrial
Il ne manquerait plus qu’Alain
Fournier, l’auteur du célèbre roman « Le Grand
Meaulnes », lui qui a magnifié mieux que quiconque le cœur de
la Sologne, pour décrire avec toute la sensibilité du cœur
ce merveilleux instant ruisséen. Tendre regard qui nous plonge dans cet univers
romantique, où les deux mains posées sur les grilles du château, Augustin,
l’auteur, entendait murmurer l’eau de la rivière, chanter les oiseaux et voir
éclore les bourgeons. Sur la photo, on aperçoit l’actuel portail de
l’imprimerie, ex-Maison Ricard, derrière lequel se cache un vieux
platane touffu dont les feuilles éparpillées aux quatre coins de la cour
ruissellent abondamment sous l’eau de pluie. L’objectif du portable étant
lui-même imbibé d’eau.
- il pleut dans
mon cœur comme Il pleut sur la ville - P. Verlaine
Alain Fournier, qui a connu André Gide et Charles
Péguy trouva à 28 ans, la mort sur le champ de bataille de
la Meuse. Son corps ne sera retrouvé qu’en 1991.
ET SI ?
Cet arbre qui ne tardera pas à être abattu
probablement dans les prochains mois à venir, ne demanderait qu’à être sauvé et
emmené en France pour y être planté dans les usines
de Ricard. Ce sera le plus beau et éternel cadeau d’un Ruisseau qui
s’en va et qui laisse derrière lui tant de beaux et vieux souvenirs. C’est
l’image deRicard qui nous quitte, mais qui reste dans les
cœurs. Le Ruisseau, c’est une histoire … Une vieille
histoire, faut nous croire !
Le Ruisseau – année 62/63
3. L’ULTIME ADIEU
Il est 7h30, la
porte* d’entrée de la Maison Ricard est ouverte
depuis bientôt une heure. Les panneaux coulissants du hall de l’atelier
s’écartent doucement et laissent entrevoir l’extrémité d’un tapis roulant
légèrement incliné au dehors de la cour. Le personnel est déjà à pied d’œuvre.
Un homme vêtu d’une salopette de couleur bleue claire, et coiffé d’une
casquette à visière s’active à placer des cageots de liqueurs sur l’escalier
roulant. Un camarade les retire et les remet aussitôt à un autre collègue qui
les pose tranquillement sur une benne motrice. Des bouteilles qui
s’entrechoquent joyeusement, comme au son d’un grelot d’une vache laitière qui
invite ses petits à regagner l’étable.
Une longue file de chariots alignés l’un
derrière l’autre, attendent patiemment leur tour. Un monsieur s’agite, et se fraie
un passage, un diable à la main. Des hommes en blouse blanche, vont et viennent
un calepin sous le bras.
C’est l’image* chevaleresque de
la Royale Maison Ricard qui s’offrait à mes yeux chaque
matin.
Bientôt, les somptueuses bouteilles
de Ricard iront rejoindre le dépôt pour y retrouver la
sérénité d’un instant et apporter la fraîcheur pour toujours. La nuit tombée,
l’odeur volatile des grains d’anis inonde le Ruisseau et
imprègne de son doux arôme de fenouil les vertes hauteurs du Plateau. Elle
copulera amoureusement avec le vert champêtre de la forêt Messoussi et
ne se dissipera qu’au petit matin, ravie d’avoir libéré son étreinte et déposé
son jus.
C’est tout le charme féerique d’un air
provençal à la Frédéric Mistral qui flânait sur
le Ruisseau en ce temps là.
a. PARLEZ-MOI DE LUI …
On gardera en mémoire l’odyssée
légendaire de ces grands établissements dont l’activité fut orientée
essentiellement vers la production et la commercialisation des apéritifs,
spiritueux, alcools, liqueurs, eau-de-vie, mistilles et dérivés :
Les Ets Rebaud et fils
aîné, Ets Bernard Taillan , la Maison Eschenauer,
les Caves du Sahel , SAPVIN , les Ets Savignon,
la Maison Wallgren, les Ets Grassion-Fredot,
les EtsPROVINA, la Sté de
vinification de la Dahra, les Vins
Vigna, les Ets Pierre Sorensen,
la Sté Aratro… On n’y manquera pas également
de relever les noms* de ces géants de la liquosterie : les Jacques
Sartor, les Merlant , les Th.
Wallgren, les Gabriel Evrard, les André et Jacques
Vigna, les P. Sorensen, les Georges
Chevreau. On parlera et pour toujours des gourous du vin des grands
domaines et des fermes : des Robert et Henri
Germain, des Borgeaud, de Marcel Seytre,
de Munck, de Lung Frédéric, de Robert
Margne, de Pierre Malle, des Fernand et Jean-Marie
Aupécle, de Bernard Taillon, de Francois
Toché, des Ets Hyppolite et
de celles de Francivin.
Le Ruisseau
4. L’ACTUEL MUR D’ENCEINTE
DE L’EX MAISON RICARD
Photo prise le 3/1/2013
- Non,
je n’ai rien oublié - Charles Aznavour
Jadis, en ce temps là, un grillage en
métal déployé offrait une belle vue sur l’intérieur de la cour de l’ex Maison
Ricard. Il prenait naissance à partir de l’extrémité de la porte, non
représentée sur la photo, elle-même en métal déployé, et se prolonge de tout
son long jusqu’à la limite du mur latéral de cette maison de liqueurs. Il sera
remplacé beaucoup plus tard par un mur en parpaing, distant de près de 20
mètres, et porte l’inscription IMPRIMERIE. Aujourd’hui,
l’ensemble de la surface étant clôturée par une rangée de cornières
métalliques, ceci pour parer à toute occupation illégale des lieux. Ne subsiste
à présent à l’intérieur de l’ex Maison Ricard qu’un
amas de terre et de gravats qui attendent l’heure d’être déblayés.
5. LE PARFUM
RICARD
Photo prise le 3/1/2013
- Non,
je ne regrette rien …
- Edith Piaf
Ouf ! Nous voici enfin arrivés au
pied du fameux mur latéral de l’ex Maison Ricard, ceinturé
par des cornières métalliques. Lui qui a laissé de vieux et beaux souvenirs
derrière soi, n’aura plus rien à nous raconter cette fois. Jadis, à l’intérieur
de cette cour, quelquefois les dimanches matin, des tables rondes soigneusement
recouvertes de nappes blanches et merveilleusement arrangées pour la
circonstance regroupaient des invités de marque (convives, familles et
dignitaires de la Maison …) venus en grand nombre
déguster ou apprécier les dernières nouveautés de la Maison et
porter un toast à la gloire du vieux Ricard. Aujourd’hui,
une végétation hirsute qui attend paisiblement son heure qui tarde à venir. Ça
c’est le "djenen" du roumi, messieurs. C’est ici que l’on s’asseyait
le dos au mur, sur une petite dalle en béton, sous l’œil austère de cette
maison de liqueurs pour une petite causette entre amis ou dans l’attente de
voir arriver les joueurs de maître Djaâfar. Un coin très
prisé par nous autres ruisséens, en raison de sa douce quiétude et de sa
proximité distante des bas-fonds de L’Oued-Kniss et de
l’ex stade du J.U.D.B. Autrefois, ici, un long et étroit passage –
entrée basse du stade – recouvert d’une toiture en eternit et jalonné de
poteaux métalliques nous mène tout droit vers un amas de sable, clôturé par des
planches en bois et destiné aux différents procédés de sablage de l’ex-Blanc.
A la droite de l’entrée, un petit talus en pierre bleue enveloppé de grillages
métalliques y servait de tribune (poulailler). Si la placette du cinéma Stella … PTT …ou
celle de la pharmacie Saligny furent le lieu attitré
des rencontres cool des « Jeunes loups », ce petit coin
offrait l’endroit idéal des petites retrouvailles entre gars du quartier prêts
à mordre la vie à belles dents, quitte à se casser ensuite les dents. A notre
droite, au-delà du N° 58, comme pour se rendre au Clos-Salembier,
une pente aux douces inclinaisons offre aux regards une belle rangée de villas
à l’italienne agrippées les unes aux autres comme dans un dernier
sursaut. Émerveillé par ce beau panorama ruisséen, un peintre
polonais de passage dans la ville en fit un merveilleux tableau. C’était en
1968.En cette même année, la télévision nous gratifia d’une belle série
télévisée fort regardée en ce temps là, intitulée « Gaspard des
montagnes ». Parmi nous, un gars de la bande,
"locataire" au château seigneurial, nommé Ahcène
Kaâouan ou Ahcène le "boiteux" ressemblait
étrangement à l’acteur principal à tel point qu’on lui attribua le sobriquet de
"Gaspard des montagnes". Une belle revanche à prendre
sur cette montagne qui ne cesse de nous taquiner.
années 2001 à 2003
6. LE PETIT PAS CASSÉ DE
MAÎTRE ZABOR: On parlera longuement de ce Patrick Ricard qui
appréciait tellement le Ricard de Zabor
Mustapha de Dar-El-Beïda – ex Maison-Blanche –
et qui recommandait à chaque fois à ses inspecteurs en mission de
contrôle en Algérie, de lui ramener 2 ou 3
bouteilles* de ce Ricard pour son apéro. Un Ricard mieux
réussi, car mieux concocté, et préféré et même préférable disait-on à celui
fabriqué en Espagne ou au Maroc. Peu
après, Zabor connaîtra de sérieux ennuis avec …et
quittera à jamais "l’univers" des alcools.
Raconté par le Directeur …...................
* HANTER : On en revient aux croyances populaires qui resurgissent de nouveau pour nous endeuiller, comme dans l’incendie des Garcia, et qui nous renseignent cette fois sur l’esprit lugubre et prémonitoire, annonciateur de la mort de Patrick Ricard survenue le 17 août 2012.
* PORTE : Du haut de mon balcon, au 3ème étage
de ce bel immeuble du 54, rue Polignac, je domine
aisément la Maison Ricard.
* IMAGE : Elle est
renforcée aux extrémités par une solide armature de tube rond et sertie par un
bel habillage métallique en grillage déployé qui semble mettre en relief
quelque chose.
* NOMS : Des noms … que
de noms … rien que des noms … et pour clôturer le tout, on parlera de ces
grands maîtres enchanteurs aux consonances nobles et aristocrates … des Martini,
des Pernod, desPerrier, des Ricard, des St Raphaël,
des Dubonnet, des Cinzano, des Quinquina,
des Pastis 51, desByrrh … et j’en oublie …
* BOUTEILLES : il s’agit
d’un prélèvement d’échantillons effectué par les inspecteurs de Ricard,
sur les bouteilles Ricard – Algérie – fabriquées sous licence
par l’usine Zabor implantée à Dar-El-Beïda.
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